Samuel Coisne
Samuel Coisne
Nothing but precious
Éloge du rien
À la cité Mommen, les liens se tissent naturellement. Ce qui n’est pas pour déplaire à Samuel Coisne, bien au contraire.
Douai, où il est né, puis Tournai et Mons, où il a fait ses études, Bruxelles enfin, où il s’est enraciné... « Ce sont des villes où j’ai tissé des liens, où j’ai tissé ma toile », avoue ce jeune homme de fait très avenant, au visage orné d’une élégante barbe châtain aux reflets roux.
Un jeune homme de son temps, à l’aise dans ses baskets comme sur la Toile : « Le mythe de l’artiste renfermé sur lui-même, on n’en est plus là ! » À l’aise avec les gens, avec qui il lie facilement conversation.
De toute façon, à la cité Mommen, à deux pas du centre de la « capitale de l’Europe », on connaît tous ses voisins et on partage les expériences. Plasticiens, photographes, peintres, vidéastes, performers...
Une trentaine d’artistes de nationalités et de cultures différentes y réside, dans des ateliers-logements propices à la création.
Samuel possède un grand atelier ailleurs dans Bruxelles mais, « chez moi, c’est un peu mon atelier aussi ».
Le long de la large baie vitrée avec vue sur un imposant bâtiment en brique rouge du XIXe siècle, des plantes vertes semblent apprécier la clarté du lieu. Sur le beau plancher couleur miel veiné de nœuds, Samuel a disposé une table blanche et des chaises noires, une commode grise et un tabouret orange. Cela fait un an que l’artiste a emménagé dans la cité mais quelques cartons traînent encore. Un téléphone vert flashy semble attendre un improbable coup de fil...
Le long des murs, des étagères noires surchargées de bandes dessinées.
La BD, sa première passion. « Depuis tout petit, je dessine. »
De fait, entre 7 ans et 14 ans, le jeune Samuel s’amuse à créer des histoires à coups de crayon. Les personnages ? Des gens de sa famille, son frère ou sa sœur, ou bien il les invente. Ses parents – le père est comptable, la mère au foyer – voient la vocation de leur petit dernier avec bienveillance : « Mes parents m’ont laissé la liberté de faire du dessin. »
Samuel a tout juste 15 ans quand il quitte le cocon familial pour Tournai, ville frontalière à une cinquantaine de kilomètres de sa commune natale.
Là, dans un lycée où quinze à vingt heures de dessin sont prévues dans le cursus, il pourra s’adonner à sa passion. Il y est interne et y fait ses « humanités », comme on nomme les études secondaires en Belgique, avant de fréquenter l’École supérieure des arts de Mons.
Son master en Arts plastiques en poche, Samuel a-t-il toujours en tête de se consacrer à la bande dessinée ? Eh bien, non ! « Pendant mes études, j’ai découvert tout un panel de disciplines, la peinture, la sculpture... et, un jour, je me suis lancé dans le volume et le découpage.
Un travail extrêmement minutieux qui requiert de la patience. » De la patience, Samuel en a toujours eu. Enfant, quand il ne dessinait pas, il s’inventait des villes sur le sol de sa chambre avec des Lego. Il traçait déjà des artères, nouait déjà des connections. Une constante chez lui.
Aujourd’hui, Samuel crée encore et toujours des villes. Elles sont son oxygène, il y puise son énergie. Même s’il a toujours ses Lego dans un coin, il les crée désormais avec du fil. Car, en plus d’être minutieux, le travail de Samuel est très graphique : « C’est important, pour moi, que ce soit “joli”, bien que je n’aime pas ce mot. Disons esthétique plutôt, voire poétique. »
L’artiste se plaît à utiliser d’anciennes techniques, comme la dentelle et le vitrail, savoirs ancestraux qu’il a étudiés, et à les adapter au goût du jour. Une façon de les perpétuer. C’est ainsi qu’il découpe du tissu bleu marine au laser pour réaliser des cartes géographiques de dentelle. Elles en ont la fragilité, la finesse... et la précision, témoin la carte de l’Europe qu’il a chantournée avec ses 27 pays-membres. Avec du fil de fer, penché pendant des heures au dessus de sa table telle une araignée tissant sa toile, il reproduit également des pays, ou dessine des impacts de bris de verre sur fond de cartographies de pays en guerre comme le Yémen, l’Égypte ou encore la Libye.
Des pays représentatifs de la fragilité du monde... Morceaux de verre, brisures de glaces, planches de bois fendues... Entre la fragilité et la violence, chez Samuel, il n’y a qu’un fil.
Le dentellier aime aussi casser du bois ou créer des impacts sur des vitres, des miroirs : « Désassembler, assembler... J’aime tout ce qui est démultiplié, la fragmentation des matériaux. Je prends plaisir à utiliser beaucoup d’éléments, façon puzzle, pour former des parterres ou des mosaïques... »
Tel un Marcel Duchamp qui aurait évolué vers davantage d’esthétisme, Samuel détourne volontiers des objets mis au rebut pour les « magnifier », comme il dit. Du matériel qu’il récupère à droite à gauche pour leur donner « une seconde vie », pour rendre « beau » ce qui est devenu « moche ». « Je me sers de choses triviales facilement reconnaissables, dans une tentative d’amener les gens à voir autrement. »
D’ailleurs, quand il se balade dans les rues, Samuel « voit » ce que d’autres ne décèleraient même pas. Un chantier, des immeubles en travaux... Sous son regard, tout se transforme. Chez le broyeur de verres où il va se fournir, là où d’aucuns verraient une décharge, il imagine un paysage : « C’est magnifique, toutes ces montagnes de verre ! »
Un soir de Noël, en rentrant chez lui sous la neige, il bute sur un énorme sac poubelle sur le trottoir. Dedans, du polystyrène. « Je l’ai chargé sur mon dos, j’avais l’impression de porter la hotte du Père Noël et, une fois chez moi, j’ai tout déballé et j’ai commencé à faire des assemblages. » Et sont apparus des palais merveilleux semblables au Taj Mahal. Le côté architectural de la frigolite : quelqu’un y avait-il pensé avant lui ?
C’est donc au hasard plus ou moins contrôlé que Samuel doit son inspiration. Lui qui a étudié au pays de Magritte, est-il un héritier des surréalistes pour autant ? « Je suis davantage dans une espèce de minimalisme, d’arte povera, explique-t-il. J’ai envie d’accrocher l’intérêt du spectateur par une lecture facile au premier abord. »
Une forme de générosité : « Les gens ont souvent peur de l’art contemporain, alors j’apporte une certaine esthétique à ce que je crée. Ainsi, ils n’auront pas besoin de lire trois pages à côté de l’œuvre pour comprendre de quoi il retourne. Tout ce que je récupère, comme le verre cassé, les chutes de miroirs, le polystyrène, fait partie de “rien” mais, une fois transformés, ces éléments deviennent quelque chose de “précieux”. »
Nothing but precious. Ses planches cassées, par exemple, ne se muent-elles pas en paysages urbains ou en canyons majestueux ?
À l’occasion, Samuel ne dédaigne pas égratigner la politique et le pouvoir de l’argent ; les billets de banque, il en fait volontiers de la dentelle.
Et la bande dessinée ? L’a-t-il oubliée pour de bon, emmêlé dans ses fils, démultiplié dans ses morceaux de miroirs brisés ? « Ce n’est pas dit qu’un jour... J’ai 35 ans, je suis encore jeune. » Plus on se hâte, moins on avance, dit le proverbe. Et le fort de Samuel n’est-il pas la patience ? À l’image des dentelles et des toiles d’araignées qu’il tisse inlassablement...
Anne Lord
Samuel Coisne (Fr) 1980
Vit et travaille à Bruxelles samcoisne@hotmail.com
EXPOSITIONS PERSONNELLES
2018 Parts of infinity – Hôtel Bloom - Bruxelles, Belgique
2017 Distradition – (Duo avec Kasper De vos) - Galerie Plagiarama - Bruxelles, Belgique
2016 Entropie - Le Jacques Franck - Bruxelles, Belgique
Nothing but Precious – Espace Laryth - Chambéry, France
Beauty and (un)usefulness - Twyce Architects - Bruxelles, Belgique
2015 The Glory of Broken Things - Maac - Bruxelles, Belgique
2014 Sweet Cuts - Galerie Alice Mogabgab - Beyrouth - Liban
2013 In occursus - (Duo avec Nicolas Gaillardon) - 38 quai Notre Dame - Tournai, Belgique
2012 Monographies d’artistes Arts 10+2 - La Médiatine - Bruxelles, Belgique
2011 Tours et détours d'une disparition programmée - La malterie - Lille,
France
2009 Samuel Coisne – B Gallery – Bruxelles, Belgique
EXPOSITIONS COLLECTIVES (SELECTION)
2017 Platform 1 – Galerie Allegrarte - Bruxelles, Belgique
Open Studios – Bruxelles, Belgique
2015 Prix du Hainaut (Sélection) – Palais des Beaux-Arts - Charleroi, Belgique
Present (again) - Galerie Plagiarama - Bruxelles, Belgique
Precious & Nothing - Galerie Alice Mogabgab - Beyrouth, Liban
In vitro - Kortrijk / Tournai / Lille – Belgique, France
2014 Geocodes - Espace Rogier - Bruxelles, Belgique
Open Studios - MAAC - Bruxelles, Belgique
Prix de la Jeune Sculpture de la Communauté Française de Belgique (sélection) - Liège, Belgique
2013 Mythiq 27 - Espace PIerre Cardin - Paris, France
De la lenteur avant toute chose - galerie ABCD - Montreuil, France
Femme réelle - Galerie Plagiarama - Bruxelles, Belgique
Célébration(s) - Centre Wallonie Bruxelles - Paris, France
Art Paris Art Fair - Stand Alice Mogabgab - Paris, France
Pour les siècles des siècles - Eglise Saint-Loup - Namur, Belgique
2012 Landscapes cities people - Netwerk- Aalst, Belgique
Animal - Alice Mogabgab Galerie - Beyrouth, Liban
2011 Cité Internationale de la Dentelle et de la Mode de Calais - Espace Podium - Calais, France
Sounds like architecture - Aalter, Belgique
Prix de la Jeune Sculpture de la Communauté Française de Belgique (sélection) - Liège, Belgique
Célébration(s) - Iselp - Bruxelles, Belgique
Mons/ Brugge: parcours - Brugge, Belgique Artour biennale - Braine-Le-Comte, Belgique
De l’arbre à la forêt - Alice Mogabgab Galerie - Beyrouth, Liban
Prix Médiatine (sélection) - Bruxelles, Belgique 2010 Cité #3 - Mons/ Brugge - Anciens abattoirs - Mons, Belgique
Open Studios - Bruxelles, Belgique 2009 Recherches 2009 - Centre de la tapisserie - Tournai, Belgique
UrbanEmotion - Tour &Taxis - Bruxelles, Belgique
Mutation - Galerie Frédéric Desimpel - Bruxelles, Belgique
Blind date - Secondroom - Bruxelles, Belgique
BOURSES
2016 Bourse de la Communauté Française / Aide à la production
2014 Bourse de la Communauté Française / Aide à la création
2013 Bourse de la Communauté Française / Aide à la production
2008-2009 Bourse de recherche au Centre de la Tapisserie - Tournai - Atelier Structure
RESIDENCES
2018 Jerada (Maroc)
2012-2015 Maac - Maison d'Art Actuel des Chartreux - Bruxelles
2011 La Malterie - Lille
2008-2009 Bourse de recherche au Centre de la Tapisserie - Tournai - Atelier Structure
2004-2005 Recyclart ( au sein du collectif UPDLL ) - Bruxelles
PRESSE ET PUBLICATIONS
2015 Precious & Nothing - Catalogue de l'exposition - Texte de Yves Michaud - Edition Alice Mogabgab (LB)
MAAC : Bourses COCOF : 10 ans de résidence - Edition Ville de Bruxelles Break, Broke, Broken – Samuel Coisne - Texte de Septembre Tiberghien
BILBOK Magazine - Spécial Mons 2015
2013 Mythiq 27 - Edité par Gotham-Lab
De la lenteur avant toute chose - Le journal ABCD - n°6 - Texte de Septembre Tiberghien
2012 Monographies d’artistes Arts 10+2 - Texte d’Anthoni Dominguez - Edité par le centre culturel Wolubilis
Tours et détours d'une disparition programmée - Texte d’Agnès Violeau - Édité par La Malterie (FR)
Animal - Catalogue de l'exposition - Texte de Luc Jacquet - Edition Alice Mogabgab (LB)
2011 Sounds like architecture - Catalogue de l'exposition - Texte de Michel Dewilde - Edition Sobinco (B) Célébration(s) - Catalogue de l'exposition - Texte de Adèle Santocono - Editions Iselp (B) De l'arbre à la forêt - Catalogue de l'exposition - Texte de Michel Baudson - Edition Alice Mogabgab (LB)
2010 L'art de la découpe - Jean Charles Trebbi - Édité chez Alternatives
TEXTES
Eloge du rien, Anne Lord - Avril 2016
Le principe d’entropie, Septembre Tiberghien - mars 2015
Entretien avec Septembre Tiberghien - 2013
Obsolescence reprogrammée, Anthoni Dominguez - novembre 2012
L’art d’accommoder les restes, Agnès Violeau - octobre 2011
COLLECTIONS
Collections publiques : Ville de La Louvière, Province du Hainaut Collections privées : Présent dans de nombreuses collections
LIEN
© 2017 Hôte Gallery.